Lucie Castets

Refus de Lucie Castets : le coup d’Etat continue

Après le refus du Parti Socialiste d’Huguette Bello, présidente communiste de la Réunion, et celui, cette fois par la France Insoumise, de la lamentable Laurence Tubiana qui proposait déjà de trahir avant même d’avoir été nommée, les forces politiques du Nouveau Front Populaire ont réussi à se mettre d’accord sur la proposition de Lucie Castets comme Première Ministre, une technocrate engagée pour la défense des services publics et peu connue du grand public. Le même jour, Emmanuel Macron réagissait en refusant la nomination et en indiquant vouloir maintenir son gouvernement rejeté par les urnes au moins jusqu’à la mi-août. 
Que nous dit cette nouvelle séquence ?

Proposition de Lucie Castets comme Première ministre : tentative de centre gauche du Nouveau Front Populaire

Après deux semaines de tractations, les forces politiques du Nouveau Front Populaire représentées au Parlement (la France Insoumise, le Parti Socialiste, Les Ecologistes et le Parti Communiste) ont donc réussi à se mettre d’accord pour une proposition de cheffe de gouvernement : Lucie Castets

Lucie Castets présente un profil classique de la politique française : une technocrate passée par Sciences Po et l’ENA. Bref, un profil que la gauche bourgeoise s’imagine rassurant pour les centristes, espérant par là éviter une censure trop rapide d’un éventuel gouvernement Nouveau Front Populaire. 

Lucie Castets présente un profil classique de la politique française : une technocrate passée par Sciences Po et l’ENA.

Du point de vue du respect des électrices et des électeurs du Nouveau Front Populaire, la proposition de Lucie Castets est un progrès par rapport à Laurence Tubiana. Contrairement à cette dernière, Lucie Castets refuse pour le moment la perspective d’une grande coalition “républicaine” avec les macronistes et la droite, indique souhaiter se battre sur chaque point du programme du Nouveau Front Populaire et se refuse à exclure les Insoumis (l’implicite de la stratégie de Grande Coalition). 
Lucie Castets est par ailleurs engagée depuis de nombreuses années dans la défense des services publics. Celle-ci s’oppose notamment vivement à ce qu’on appelle le New Public Management : l’importation des méthodes du management privé dans la fonction publique depuis les années 1990 et qui a conduit à son très fort appauvrissement. 

Tout cela ne doit pas nous faire oublier les points problématiques de son parcours et de son engagement politique : Lucie Castets était candidate PS aux régionales 2015, c’est-à-dire en pleine présidence Hollande, après le CICE, la loi Macron (qui était à ce moment-là ministre de l’économie) et le début des lois liberticides. Cela soulève des questions légitimes : peut-on se présenter sous l’étiquette PS en 2015 sans soutenir la ligne économique d’Emmanuel Macron, ministre de l’Economie du gouvernement PS de l’époque ? Lorsque l’on rentre davantage dans le détail, cela n’est pas plus rassurant : Lucie Castets était candidate sur la liste de Nicolas Mayer-Rossignol (d’ailleurs très enthousiasmé par sa proposition au poste de Première ministre), maire de Rouen qui incarne depuis deux ans la ligne anti-Nupes et anti-Faure au sein du Parti Socialiste, c’est-à-dire une ligne de divorce total avec la France Insoumise. Lucie Castets était également proche du courant politique de Pierre Moscovici (lui-même partisan de Dominique Strauss-Kahn en 2012), c’est-à-dire une des lignes politiques les plus libérales au sein du Parti Socialiste. 

https://www.frustrationmagazine.fr/laurence-tubiana-nfp-premiere-ministre/

Ce choix n’est donc pas un hasard : il s’agit de proposer une personnalité perçue comme de centre gauche pour espérer échapper à la censure (le Nouveau Front Populaire ne disposant que d’une majorité relative, un gouvernement qui en serait issu serait sans cesse soumis à un risque de vote de censure de la part des macronistes, de la droite et de l’extrême droite ce qui amènerait à sa démission). 

De son côté, la France Insoumise rappelle qu’il est possible d’évoluer politiquement, que Lucie Castets a quitté le PS en raison de son désaccord avec la politique mise en place lors du quinquennat Hollande, et insiste sur le fait que cette dernière défendrait à 100% le programme du Nouveau Front Populaire. 

La France Insoumise rappelle qu’il est possible d’évoluer politiquement, que Lucie Castets a quitté le PS en raison de son désaccord avec la politique mise en place lors du quinquennat Hollande, et insiste sur le fait que cette dernière défendrait à 100% le programme du Nouveau Front Populaire. 

Toutefois, aussi déprimante soit la période, celle-ci ne doit pas nous forcer à mettre notre esprit critique au placard. C’est d’ailleurs le rôle d’un média indépendant de luttes de classes comme l’est Frustration de conserver cette mémoire et de la faire connaître, ainsi que de garder une attitude de prudence – si ce n’est de méfiance – envers la gauche institutionnelle et tout particulièrement envers le Parti Socialiste. Quand François Hollande a été élu en 2012, nombreuses et nombreux ont été les électrices et électeurs de gauche à s’en réjouir. Ce dernier parlait comme une personne de gauche, et elles et ils se disaient que cela ne pouvait pas être pire que la présidence Sarkozy. On connaît le résultat : l’émergence du macronisme.
Pour le dire autrement, le soutien critique à la gauche institutionnelle, ou la critique de la gauche par sa gauche, n’est pas une activité de tireur dans le dos : c’est ce qui permet d’ouvrir la fenêtre d’Overton à gauche, de faire pression et parfois d’obtenir des choses. 

Les franges les plus bourgeoises de la gauche passent donc à côté d’une réalité qu’elles peinent à comprendre : le problème n’a jamais été la personne de Jean-Luc Mélenchon ou d’une autre personnalité considérée comme clivante ou trop radicale. À la seconde où un gouvernement considéré comme de gauche par la bourgeoisie et le capital est en passe de prendre le pouvoir, la même mécanique de diabolisation se met en place, et sur le même terrain.
Toute la classe dominante essaye donc de faire passer Lucie Castets pour “d’extrême gauche”.
Il a ainsi été immédiatement reproché à Lucie Castets de ne pas condamner la déclaration du député insoumis Thomas Porte qui avait indiqué qu’en tant que représentante d’un Etat sanguinaire, violant le droit international et commettant un massacre de de masse de civils, la délégation d’athlètes israéliens n’était pas “la bienvenue”. Le sénateur de la Vendée, Bruno Retailleau considérant par exemple que cela la “disqualifie” comme Première ministre, comme si ce n’était pas le vote qui tranchait cette question dans une démocratie normale.
La promesse du centre, de la droite et de l’extrême droite, de censurer tout gouvernement qui comporterait des insoumis (voire même des écologistes) n’a d’ailleurs pas évolué, condition impossible pour la formation d’un gouvernement Nouveau Front Populaire cohérent.

Quand François Hollande a été élu en 2012, nombreuses et nombreux ont été les électrices et électeurs de gauche à s’en réjouir. Ce dernier parlait comme une personne de gauche, et elles et ils se disaient que cela ne pouvait pas être pire que la présidence Sarkozy.

Les médias dominants jouent un rôle essentiel dans cette diabolisation, diffusant par exemple des sondages indiquant que “pour 58% des Français, Emmanuel Macron ne doit pas nommer Lucie Castets à Matignon”. Bien sûr ces journalistes ne précisent pas ni qu’on retrouverait ce type de sondage pour n’importe qui, ni que la plupart des mesures du Nouveau Front Populaire sont ultra majoritaires dans la population, ce que nous apprennent d’autres sondages, eux très peu relayés. Par ailleurs c’est bien par le vote que nous sommes censés tranchés et non pas par sondages.

Si les médias diabolisent Lucie Castets, avec pour angle le fait qu’elle serait proche des positions de la France Insoumise mais aussi des attaques sexistes notamment sur son supposé “manque d’expérience” (absolument pas plus avéré que nos précédents premiers ministres pour lesquels cela n’était pas souligné), c’est parce que, désormais, un programme avec des mesures sociales minimales suffit à créer une panique au sein de la bourgeoisie qui ne veut plus aucun compromis, plus rien accorder.
De ce point de vue, la nomination d’un gouvernement Nouveau Front Populaire créerait une situation : affrontement ou capitulation. Même sans être radicale, une première ministre et son gouvernement qui voudraient appliquer les mesures du programme seraient contraints de s’engager dans une lutte âpre avec le capital, l’appareil d’Etat et le reste des forces politiques. 

Désormais, un programme avec des mesures sociales minimales suffit à créer une panique au sein de la bourgeoisie qui ne veut plus aucun compromis, plus rien accorder.

Les dissensions du Nouveau Front Populaire pour accoucher d’une proposition de Première ministre illustrent par ailleurs le débat entre deux stratégies contraires à gauche : 

  • une stratégie centriste pour rassurer la bourgeoisie, qui plus est dans un pays droitisé, pour arracher, idéalement, quelques compromis 
  • une stratégie de rupture qui passe par une gauche décomplexée c’est-à-dire ne s’alignant pas sur les paniques morales de la droite et affichant fièrement ses positions. 

La première stratégie paraît souvent la plus raisonnable. Pourtant : elle a conduit dans de nombreux pays européens à faire disparaître la gauche, fondue dans des alliances improbables, ne laissant in fine plus aucun adversaire sérieux à l’extrême droite, qui assoit par là sa domination. La seconde, qui s’inscrit davantage dans le long terme, n’est pas garantie de succès, mais a le mérite de la cohérence et peut faire ses preuves en temps voulu. 

Macron poursuit son coup d’Etat 

Nous le disons depuis longtemps à Frustration : nous ne sommes pas en démocratie. L’illusion se maintenait grâce à l’illusion de la possibilité d’une alternance par les élections. Macron, qui en avait pourtant déjà franchi beaucoup, vient de franchir un nouveau cap : refuser le résultat des élections.
Dès le soir même de la proposition de Première ministre par le Nouveau Front Populaire, groupe arrivé en tête des élections, qui bénéficie d’une majorité relative, Macron refusait cette nomination. 

Certains pensaient que cette situation étrange – un gouvernement défait qui reste en place – était liée au fait que le Nouveau Front Populaire n’avait pas encore proposé de candidat, on voit désormais que la réalité est tout autre. 

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Principal argument avancé : il faudrait (soudainement) attendre la fin des Jeux Olympiques. Mais dans ce cas, pourquoi avoir dissous dans la précipitation à la veille des Jeux Olympiques ? Pourquoi ne pas avoir annoncé la dissolution après cet évènement, ce qui aurait d’ailleurs permis aux forces politiques d’organiser les élections dans de bonnes conditions comme cela est normalement la norme dans une démocratie ?  C’est que là n’est pas la question : si le RN avait eu 200 députés, nous aurions déjà un gouvernement RN. La cohabitation avec le RN était d’ailleurs l’objectif de Macron pour des calculs stratégiques foireux : assécher le RN, supposé incompétent, par l’exercice du pouvoir avant 2027, méthode très dangereuse pour les catégories de la population visées par l’extrême droite et qui n’a fait ses preuves nulle part en Europe où celle ci parvient finalement souvent à se maintenir au pouvoir pendant de nombreux mandats.  Mais Macron s’est trompé : entouré de conseillers extrêmement à droite, galvanisés par des médias totalement acquis aux thématiques racistes, celui-ci a surestimé la droitisation du pays et sous-estimé le vote barrage. Il se retrouve donc dans une situation qu’il n’avait pas prévu : la gauche en tête, un socle macroniste extrêmement affaibli et fâché de l’attitude de son leader, une extrême droite à la fois plus forte que jamais mais toujours sans majorité – ce qui la positionne mieux que jamais pour 2027. Le résultat de ces élections ne plaisant pas à Macron, celui-ci fait donc comme si elles n’avaient pas eu lieu. Il est donc allé jusqu’à déclarer que le Nouveau Front Populaire n’a pas de “majorité quelle qu’elle soit”, ce qui est factuellement faux : ce dernier n’a pas de majorité absolue (plus de la moitié des députés) mais dispose bien d’une majorité relative (le plus grand nombre de députés). 

En délayant la nomination d’un nouveau gouvernement, Emmanuel Macron essaye de gagner du temps en formalisant ce qui était autrefois une alliance de fait : une majorité entre les macronistes et la droite – ce qui concrètement signifierait qu’après une élection perdue, tout continuerait comme avant. 
C’est l’unique raison : la France est un pays dans lequel l’actualité est toujours riche, on pourra toujours trouver une raison ou une autre qui nécessite de délayer la nomination du prochain gouvernement. Dans la période, Macron a besoin de ce délai. 

Il faudrait (soudainement) attendre la fin des Jeux Olympiques. Mais dans ce cas, pourquoi avoir dissous dans la précipitation à la veille des Jeux Olympiques ?

Face à cette situation inédite, les journalistes en face de lui sur le plateau ont préféré changer de sujet pour demander au président si Céline Dion participera à la cérémonie d’ouverture…ce qui nous dit aussi quelque chose du niveau de servilité des médias dominants. 

La fable démocratique en France reposait grandement sur le mythe de l’alternance. Même si elle n’était pas réelle, elle créait des sortes de rapports de force. Maintenant même cette alternance n’existe plus et ce régime apparaît au grand jour pour ce qu’il est et a toujours été. Quand on vote, on sait qu’il faudra désormais espérer que le résultat convienne à Emmanuel Macron. 
Une autre leçon essentielle est à tirer de la séquence : plutôt que la politique politicienne et institutionnelle, le vrai enjeu du moment, comme nous le rappelle la lutte des femmes de chambre de Marseille, reste d’utiliser les Jeux Olympiques, avec des grèves, pour obtenir des avancées sociales. 

Rob Grams


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