Se mettre en grève est toujours une décision délicate, que l’on évolue dans le secteur privé ou public. Les représailles des employeurs peuvent être lourdes, et tout le monde ne peut pas se permettre de renoncer à plusieurs jours de salaire. À l’hôpital, l’équilibre est d’autant plus complexe à tenir, entre l’engagement des soignants à assurer la sécurité des patients et la nécessité de défendre leurs conditions de travail, qui ont un impact direct sur la qualité des soins. Pourtant, malgré ces obstacles, la lutte peut porter ses fruits. Les salariés de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) viennent d’en apporter une démonstration éclatante. Grâce à leur détermination, ils ont obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs revendications. Cette victoire syndicale illustre avec force que, même dans un secteur aussi sensible que la santé, la solidarité et la persévérance permettent d’imposer des avancées concrètes.
L’année a débuté dans la révolte aux urgences de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, où l’ensemble des soignants ont engagé un bras de fer avec la direction. Les conditions de travail y sont, comme dans de nombreux hôpitaux, absolument insoutenables, avec des dizaines de patients dormant sur des brancards, faute de lits disponibles, et obligés de se laver dans les couloirs entre deux paravents. Les difficultés se sont renforcées ces dernières années, avec la fermeture de plusieurs hôpitaux aux alentours. Les salariés se sont donc mis en grève, soutenus par la CGT, et la mobilisation fut impressionnante : elle a duré 11 jours, avec un taux de grévistes atteignant 100%. Les revendications portaient sur le manque criant de personnel, la saturation constante des urgences et l’insuffisance des moyens matériels. Grâce à leur détermination, les grévistes ont obtenu la satisfaction de l’intégralité de leurs demandes, en particulier la création de 14 emplois supplémentaires pour occuper 7 postes 24H/24H.
En se déclarant gréviste, le personnel envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé.
David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne
Faire grève dans un hôpital n’a rien d’évident, car personne n’a envie de mettre en péril la santé des patients. Les soignants et les autres personnels hospitaliers disposent théoriquement du droit de cesser le travail pour défendre leurs revendications, mais l’hôpital public, en tant que structure assurant des soins vitaux, est soumis à l’obligation de continuité du service public de la santé. L’administration hospitalière établit ainsi une liste de personnels dits « assignables », c’est-à-dire qui seront obligés de travailler tout en se déclarant grévistes sans perdre en rémunération. “Vu la situation de sous-effectif aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, 100% des grévistes étaient en réalité assignables”, nous explique David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne. Les grèves dans les hôpitaux prennent souvent d’autres formes que l’arrêt complet du travail, par exemple le personnel mettant des brassards, organisation des piquets de grèves, ou faisant des « grèves » administratives, c’est-à-dire suspendant certaines tâches administratives, telles que le codage des actes médicaux, la transmission de données ou les réunions budgétaires, tout en poursuivant pleinement les soins octroyés aux patients. Mais cela peut exposer à des sanctions disciplinaires.
« Puisque le personnel ne peut pas arrêter son travail auprès des patients afin de ne pas compromettre leur santé, la pression s’exerce autrement, par la présence aux piquets de grèves et par le fait qu’en se déclarant gréviste, il envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé », nous indique David Francois. « La grève permet aussi d’attirer l’attention médiatique », ajoute-t-il, ayant eu l’occasion d’être interrogé par BFM TV, dont la journaliste a elle-même admis l’utilité de la grève.

Les grèves se multiplient dans le secteur hospitalier
Les mouvements sociaux se multiplient dans le secteur hospitalier du Val-de-Marne en ce moment. Depuis le 3 décembre dernier, une grève illimitée se poursuit à l’hôpital gériatrique Émile-Roux de Limeil-Brévannes. Actuellement, 8 % des infirmiers et aides-soignants y sont en grève pour alerter sur la situation de sous-effectifs et la maltraitance des patients qu’elle favorise. Face à des situations de sous-effectifs chroniques (un agent pour 36 patients au lieu de deux précédemment), ils alertent sur des situations intenables, où souffrance au travail et maltraitance des patients se mêlent quotidiennement. Ils exigent l’embauche de quinze postes d’infirmiers et de 20 postes d’aides-soignants. Pour le moment, la direction ne répond à ces demandes concrètes que par des propositions abstraites de « Comité de suivi » et de « réflexions ». La grève a été reconduite le 16 janvier dernier. Elle s’étend peu à peu à d’autres établissements : trois services de l’hôpital Albert-Chenevier sont désormais également en grève pour exiger plus de moyens. En effet, la direction a imposé une diminution du ratio soignant / lit, qui n’est souvent pas atteint sans recours à l’intérim ou aux heures supplémentaires.
Autres exemples ailleurs en France : depuis le 15 janvier dernier, une grève illimitée a été lancée par la CGT à l’hôpital de Morlaix (Finistère), alors que la veille 21 patients avaient dormi dans les couloirs des urgences. Un préavis de grève vient également d’être déposé dans les hôpitaux publics marseillais face à la saturation des chambres mortuaires : sur une capacité de 74 places pour des défunts à la Timone, 82 sont en ce moment conservés sur place. Un corps en putréfaction a même dû être stocké au sous-sol de l’hôpital.
Quelques jours seulement après la fin de la grève aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, un événement tragique est venu y rappeler l’urgence de la situation dans les hôpitaux : le décès d’une jeune femme de 26 ans dans la salle d’attente de cet hôpital. Les morts dans les hôpitaux se multiplient ces dernières années, ce n’est malheureusement pas étonnant : une étude récente, publiée dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine, a démontré une hausse de la mortalité de près de 40 % quand les patients sont obligés de passer la nuit sur les brancards à cause du manque de lits disponibles.
Depuis 2013, on dénombre 43 500 lits d’hôpitaux en moins en France
Cette situation ne vient pas de nulle part : près de 4 900 lits d’hospitalisation complète (avec nuitée dans l’établissement) ont été supprimés en 2023. Depuis 2013, c’est 43 500 lits qui ont été perdus en France. 160 hôpitaux, publics et privés, ont fermé entre 2013 et 2023. Rappelons qu’Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé macroniste, avait promis à l’automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d’ici la fin de l’année ». Ça n’a évidemment pas été le cas. Il est aujourd’hui député du NFP. La récente annonce par François Bayrou d’une augmentation de l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie, fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale) de 2,8 % à 3,3 % pour l’année 2025 semble convenir aux socialistes, mais elle est largement insuffisante. Elle sera en partie absorbée par l’inflation, qui entraîne des hausses des coûts de fonctionnement des hôpitaux, laissant ainsi peu de marge pour des améliorations concrètes des services de santé. La Fédération Hospitalière de France estime qu’une augmentation de l’ONDAM de l’ordre de 6 % serait nécessaire pour répondre adéquatement aux lourdes problématiques actuelles du système de santé, notamment en matière de recrutements et d’investissements.
Les grèves dans le secteur hospitalier, si difficiles à mettre en œuvre, ont une importance cruciale pour améliorer immédiatement les conditions de travail des soignants et la qualité d’accueil des patients, c’est-à-dire, concrètement, éviter que des gens meurent sur des brancards. Au-delà des enjeux spécifiques au monde hospitalier, ces mobilisations rappellent à l’ensemble des travailleurs que la grève demeure l’un des outils les plus puissants pour défendre leurs droits et viser l’émancipation collective.
Guillaume Etiévant
Si vous avez aimé cet article, si vous pensez que notre façon d’écrire et le point de vue que nous apportons dans le débat public mérite d’exister, aidez-nous. Nous avons atteint plusieurs limites de notre modèle économique et nous risquons de ne plus pouvoir continuer sans un coup de pouce de nos lectrices et lecteurs.

A lire également :