Le Sahara occidental, dernier territoire africain “en attente de décolonisation” selon les Nations unies, est au cœur d’un conflit géopolitique complexe qui oppose depuis plusieurs décennies le Maroc au Front Polisario, représentant du peuple sahraoui. Alors que la question de l’autodétermination sahraouie semble sans issue, la communauté internationale, et en particulier les puissances occidentales, continuent d’influencer l’issue du conflit en fonction de leurs intérêts stratégiques. Récemment, Emmanuel Macron a pris une (énième) position plus que douteuse en reconnaissant la souveraineté marocaine sur ce territoire disputé, une position qui, une fois de plus, tranche avec celle du droit international et ravive les tensions avec l’Algérie, alliée du Front Polisario. Cette posture s’inscrit dans une longue tradition d’ambiguïtés et de contradictions dans la gestion des conflits post-coloniaux en Afrique du Nord, révélant les dynamiques néocoloniales encore à l’œuvre. Dans quelle mesure la récente prise de position d’Emmanuel Macron sur le Sahara occidental, en soutenant la souveraineté marocaine, reflète-t-elle les enjeux néocoloniaux actuels de la France en Afrique du Nord, et contribue-t-elle à perpétuer une forme de domination post-coloniale, au détriment des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ?
L’histoire des Sahraouis et du Front Polisario
Les Sahraouis forment un peuple nomade, principalement de culture berbère et arabe, qui vit dans le Sahara occidental, une région disputée entre le Maroc et le Front Polisario. Le Front Polisario (Front populaire de libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de Oro) a vu le jour en 1973 en tant que mouvement de résistance à l’occupation coloniale espagnole, avec pour objectif de libérer le Sahara occidental et d’obtenir l’indépendance pour les Sahraouis.
Lorsque l’Espagne s’est retirée du territoire en 1975, le Maroc et la Mauritanie se sont partagés la région. Le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, a engagé une lutte armée contre ces deux États. En 1979, la Mauritanie s’est retirée du conflit, mais le Maroc a consolidé sa mainmise sur la majeure partie du Sahara occidental, considérant le territoire comme une partie intégrante de son royaume.
Le conflit entre le Maroc et le Front Polisario a été marqué par une guerre de guérilla jusqu’à un cessez-le-feu en 1991, sous l’égide des Nations unies. Ce cessez-le-feu devait permettre la tenue d’un référendum d’autodétermination, mais ce dernier n’a jamais eu lieu, le processus étant bloqué par des désaccords sur les modalités électorales et la nature du scrutin. L’autodétermination est le principe selon lequel un peuple a le droit de décider librement de son statut politique et de choisir son propre mode de gouvernement, sans ingérence extérieure.
Ce concept, inscrit dans la Charte des Nations unies, est essentiel dans les processus de décolonisation, où il permet aux populations colonisées de revendiquer leur indépendance et de se libérer de la domination impériale. Sur le plan idéologique, l’autodétermination est étroitement liée à la lutte contre le colonialisme et le néocolonialisme, en affirmant la souveraineté des peuples sur leurs terres et ressources. Politiquement, elle est souvent au cœur des conflits territoriaux, comme au Sahara occidental, où les revendications sahraouies sont confrontées à des puissances qui cherchent à maintenir ou à rétablir une forme de contrôle sur des territoires autrefois colonisés. Aujourd’hui, les Sahraouis vivent en grande partie dans des camps de réfugiés en Algérie, ou sous contrôle marocain, tandis que le Front Polisario continue de réclamer l’indépendance à travers la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
La question du Sahara occidental soulève des enjeux décoloniaux majeurs. D’une part, le Sahara occidental est l’un des derniers territoires au monde à figurer sur la liste des Nations unies des territoires non autonomes, dont la décolonisation n’a pas été achevée. Selon le droit international, sa situation doit être résolue par un processus de décolonisation légitime, ce qui implique une consultation du peuple sahraoui sur son avenir politique. Le colonialisme a marqué cette région, comme des centaines d’autres, au fer rouge.
Le Maroc, en revendiquant ce Sahara dit “occidental”, s’inscrit dans une logique de “récupération territoriale” post-coloniale. Toutefois, cette approche entre en conflit avec le principe de l’autodétermination, fondamental dans la résolution des processus de décolonisation. Le refus de tenir un référendum, longtemps bloqué par les divergences entre le Maroc et le Front Polisario, reflète une perpétuation des dynamiques coloniales où le peuple sahraoui se voit dépossédé de son droit de décider de son propre avenir.
Si l’on peut être assez sceptique face à l’emploi du qualificatif « occidental » associé au Sahara c’est parce qu’il découle de la terminologie coloniale européenne, qui désignait cette partie du désert en fonction de sa position géographique par rapport à l’Europe. En appelant cette région le Sahara « occidental », les colonisateurs espagnols ont imposé un cadre de référence eurocentrique, reflétant leur vision du monde et leur volonté de classifier des territoires selon leur propre perspective. Ce terme, loin d’être neutre, renforce une lecture coloniale de l’espace, où les territoires sont perçus à travers le prisme des intérêts impérialistes, plutôt que selon les réalités culturelles et historiques des peuples autochtones. Dans une approche décoloniale, il s’agirait de remettre en question ces appellations qui continuent d’entretenir des rapports de pouvoir et d’effacement des identités locales.
La diplomatie macroniste au service du néocolonialisme
En juillet 2024, le président Emmanuel Macron a pris une décision inédite en reconnaissant formellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Par cette démarche, exprimée dans une lettre adressée au roi Mohammed VI, Macron a soutenu le plan d’autonomie proposé par le Maroc, qualifiant celui-ci de “seule base” pour parvenir à une solution politique durable et négociée. Cette position marque un tournant dans la politique étrangère française, “traditionnellement” pseudo-encline à maintenir un équilibre entre le Maroc et l’Algérie sur ce dossier.
La France avait jusqu’alors soutenu les efforts des Nations unies, qui envisagent toujours un référendum d’autodétermination. En prenant parti pour Rabat, Macron a ainsi affaibli la position française traditionnelle en faveur d’une solution multilatérale encadrée par les instances internationales dominantes.
Le geste de Macron révèle une profonde ambiguïté dans la relation de la France avec ses anciennes colonies nord-africaines, en particulier avec l’Algérie.
La position de Macron rappelle celle adoptée par le (non regretté) ancien président américain Donald Trump en décembre 2020, lorsque ce dernier avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël (les Accords d’Abraham). Cette démarche avait provoqué un tollé dans la communauté internationale, car elle marquait un net écart avec la position des Nations unies sur le processus de décolonisation amorcé pour le Sahara.
En adoptant une position similaire à celle de Trump, Macron fait un pari risqué. D’une part, il renforce les relations franco-marocaines, mises à mal ces dernières années, mais d’autre part, il alimente les tensions avec l’Algérie, principal soutien du Front Polisario et acteur clé dans la région. Cette décision contribue à aggraver les divisions au sein du Maghreb, et mine le rôle de la France comme médiateur potentiel. La décision de Macron de soutenir ouvertement la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental compromet la capacité de la France à jouer un rôle d’arbitre impartial dans ce conflit. Traditionnellement, la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale et acteur influent au Maghreb, aurait pu utiliser sa position pour faciliter des négociations entre le Maroc et le Front Polisario, tout en “apaisant” les tensions avec l’Algérie.
Le geste de Macron révèle une profonde ambiguïté dans la relation de la France avec ses anciennes colonies nord-africaines, en particulier avec l’Algérie. Depuis des décennies, la France entretient des relations complexes avec Alger, souvent marquées par les séquelles de la colonisation et la guerre d’indépendance algérienne. Lorsque Macron avait qualifié la colonisation de “crime contre l’humanité” en 2017, il avait suscité un vague espoir de réconciliation durable entre les deux pays, mais comme tous les vagues espoirs distribués par Macron comme des bonbons à la sortie de l’école, il se sont révélés annihilés par l’actuelle ère macro lepéniste que nous connaissons aujourd’hui. Ses récentes actions, notamment cette reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, ravivent les tensions et montrent que la France peine à adopter une position véritablement décoloniale.
La décision de Macron représente un tournant majeur dans la politique étrangère française. Elle révèle les priorités stratégiques de la France au Maghreb, marquées par un alignement croissant avec Rabat, au détriment des équilibres régionaux et des revendications sahraouies.
Ce revirement souligne que la France continue d’agir en fonction de ses intérêts géostratégiques, au détriment des principes de justice décoloniale. D’abord, les intérêts économiques sont majeurs : de nombreuses entreprises françaises opèrent au Maroc dans des secteurs clés comme l’automobile, l’aéronautique, les infrastructures et les télécommunications. Le Maroc est un partenaire économique stratégique pour la France, dont les investissements visent à maintenir une influence dans ces domaines. Ensuite, il y a l’aspect de la politique migratoire : le Maroc joue un rôle de garde-frontière pour l’Europe, empêchant, parfois de manière brutale, l’immigration clandestine en provenance d’Afrique subsaharienne. Cette collaboration permet à la France et à l’Europe de contenir les flux migratoires, un enjeu central dans les politiques internes françaises. Ainsi, la France ne défend pas une position fondée sur le droit international ou l’autodétermination des Sahraouis, mais bien des intérêts purement égoïstes, basés sur la préservation de ses avantages économiques et la gestion de la question migratoire. La reconnaissance de la “marocanité” du Sahara occidental est perçue comme une trahison par l’Algérie et un renforcement de la domination marocaine sur un peuple en quête d’autodétermination. Les relations franco-algériennes, déjà fragilisées par d’autres crises diplomatiques, pourraient s’en trouver durablement affectées, d’autant que l’Algérie demeure un acteur clé dans la stabilité de la région. La décision de Macron de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental représente un tournant majeur dans la politique étrangère française. Elle révèle les priorités stratégiques de la France au Maghreb, marquées par un alignement croissant avec Rabat, au détriment des équilibres régionaux et des revendications sahraouies. Cette position expose aussi les contradictions françaises en matière de décolonisation : tandis que la France cherche à apaiser ses relations avec l’Algérie sur le plan mémoriel, elle adopte une politique qui perpétue des dynamiques de domination post-coloniales au Sahara.
En renforçant ses liens avec le Maroc, Paris court le risque de perdre son rôle de médiateur dans la région, tout en alimentant les tensions avec Alger. Cette posture pourrait non seulement aggraver l’instabilité au Maghreb, mais aussi avoir des répercussions sur les relations franco-algériennes et sur la gestion des crises migratoires et économiques dans cette partie du monde. C’est précisément là que se situe l’ambiguïté de ce rôle de « médiateur » que la France a prétendu jouer dans de nombreux conflits en Afrique et ailleurs. Dans l’absolu, être un médiateur impartial, c’est un rôle louable, car cela pourrait permettre de favoriser la paix et les négociations entre deux parties en conflit. Mais dans le contexte du Sahara occidental, et plus largement dans les relations franco-maghrébines, ce rôle de médiateur attribué à la France cache souvent des intérêts néocoloniaux. Historiquement, la France a souvent utilisé sa position dominante dans des conflits post-coloniaux non pas pour véritablement permettre l’émancipation des peuples, mais pour maintenir une influence économique, politique, et stratégique dans ses anciennes colonies et dans les zones périphériques. La perte du rôle de médiateur de la France au Sahara occidental ne serait pas forcément une mauvaise chose si l’on adopte une perspective décoloniale. En effet, ce rôle a souvent permis à Paris de maintenir une forme de tutelle sur la région, en conservant des rapports asymétriques avec les pays concernés, comme l’Algérie et le Maroc. Loin d’une réelle neutralité, la France a souvent pris des positions biaisées en fonction de ses propres intérêts stratégiques (ressources naturelles, contrôle géopolitique, influence militaire).
Si la France renonce à son rôle de médiateur, cela pourrait, paradoxalement, ouvrir la voie à de nouvelles formes de médiation plus équitables, notamment via des instances internationales ou des acteurs régionaux qui ne sont pas liés par les dynamiques néocoloniales. En d’autres termes, la perte de ce rôle pourrait être perçue comme un pas vers une véritable émancipation des peuples concernés, libérés des ingérences d’une ancienne puissance coloniale cherchant à perpétuer son influence sous couvert de diplomatie.
La France et d’autres nations européennes continuent de justifier des interventions, des alliances ou des prises de position qui préservent leur influence post-coloniale. Sous prétexte de lutter contre l’insécurité ou de stabiliser des régions, ces politiques permettent en réalité de maintenir des rapports de domination économique et politique, tout en marginalisant les droits des peuples à l’autodétermination.
La reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ne s’inscrit pas seulement dans la continuité des ambiguïtés de la diplomatie française au Maghreb. Elle reflète une tendance plus large des puissances occidentales à dissimuler, sous le voile de la diplomatie et de la “stabilité régionale”, des intérêts géopolitiques et économiques profondément néocoloniaux. Que ce soit au Sahel, en Libye, ou encore en Afrique subsaharienne, la France et d’autres nations européennes continuent de justifier des interventions, des alliances ou des prises de position qui préservent leur influence post-coloniale. Sous prétexte de lutter contre l’insécurité ou de stabiliser des régions, ces politiques permettent en réalité de maintenir des rapports de domination économique et politique, tout en marginalisant les droits des peuples à l’autodétermination. Le soutien apporté à des régimes ou à des initiatives contraires au droit international, comme au Sahara, en est un exemple criant.

Farton Bink
Image de couverture : Paysages / Baya / 1966 / Institut du Monde Arabe
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