Manuel Valls, désormais ministre des Outre-mer, est l’une des figures les plus célèbres de la scène politique française. Contrairement à la majorité des ministres actuels, dont on peine à se rappeler des noms et des visages, Valls est connu de tous. Sa notoriété repose sur un rejet quasi unanime. Je n’ai rencontré personne capable de le défendre ou d’afficher une quelconque sympathie pour lui. Cela vient sans doute, pour une part, du fait qu’il n’essaye même pas de faire semblant d’être agréable. Il ne sourit jamais, tout son corps semble rigide, il a l’air constamment en tension, nerveux et, surtout, autoritaire. S’il y a une raison essentielle de désapprouver Manuel Valls, c’est pour le projet politique qu’il défend avec une constance implacable depuis des décennies. Ce projet combine la répression des mouvements sociaux, l’islamophobie, le démantèlement des droits des travailleurs et un alignement systématique sur les intérêts des grandes entreprises. Loin de représenter une rupture avec le Parti socialiste, comme ses membres cherchent souvent à le faire croire, sa trajectoire s’inscrit pleinement dans la continuité des trahisons passées de ce parti, préfigurant celles qu’il pourrait encore commettre à l’avenir.
Valls n’est pas seulement ce type désagréable, souvent tourné en dérision pour son opportunisme politique, prêt à gouverner avec n’importe qui, ayant échoué à se refaire une carrière en Espagne avant de devenir chroniqueur de BFM, et consultant pour des dictatures. Il incarne ce que le Parti socialiste a sans doute produit de pire dans l’Histoire. Avant l’arrivée de François Hollande au pouvoir en 2012, une partie de la gauche entretenait encore l’illusion, malgré les échecs retentissants des présidences Mitterrand et Jospin, que le Parti socialiste, bien qu’adepte d’un accompagnement du libéralisme sans véritable volonté de le réformer, pourrait au moins proposer quelques avancées « sociétales ». Certains espéraient notamment une écoute bienveillante des mouvements sociaux, une attention particulière aux minorités et une politique plus humaine à l’égard des immigrés. Dès la nomination de Manuel Valls au ministère de l’Intérieur en 2012, puis à la tête du gouvernement deux ans plus tard, la réalité prit un tout autre visage. Les mouvements sociaux furent sévèrement réprimés. Les manifestations, autrefois des espaces d’expression relativement paisibles, se transformèrent en scènes de violences policières : charges, gaz lacrymogènes, et nasses piégeant les manifestants devinrent monnaie courante. L’escalade atteignit son paroxysme avec la mort de Rémi Fraisse, un jeune militant écologiste de 21 ans, tué par la police lors de son opposition au projet de barrage de Sivens.
Manuel Valls n’a jamais représenté une rupture, mais s’inscrit au contraire dans une continuité historique du PS, que ses membres tentent souvent d’effacer ou de minimiser.
Nombre d’entre-nous furent, malgré notre absence totale de confiance dans le PS, tout de même surpris par une telle déflagration. Pourtant, en y regardant de plus près, il n’y avait rien d’étonnant. Manuel Valls n’a jamais représenté une rupture, mais s’inscrit au contraire dans une continuité historique du PS, que ses membres tentent souvent d’effacer ou de minimiser. Manuel Valls est né à Barcelone en 1962, avant de grandir en France, où il fut naturalisé au début des années 1980. Très tôt attiré par la politique, il s’engage dès l’âge de 17 ans dans le Mouvement des jeunes socialistes, soutenant alors Michel Rocard et sa vision réformiste, qui marquera durablement sa trajectoire. Valls se forme ainsi politiquement dans un courant du Parti socialiste qu’on appelait la deuxième gauche, et qui, sous couvert d’idéaux autogestionnaires, amorça une dérive néolibérale. En particulier, Michel Rocard, lorsqu’il occupa la fonction de Premier ministre à la fin des années 1980, mit en œuvre la Contribution sociale généralisée (CSG), un impôt prélevé sur tous les revenus, visant à remplacer partiellement les cotisations sociales payées par les entreprises. Cette réforme marqua un tournant dans le financement de la protection sociale, transférant une partie des contributions des entreprises vers l’ensemble des salariés et des retraités.
Rocard est surtout resté célèbre pour sa phrase « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », prononcée en décembre 1989 et utilisée d’innombrables fois par la suite, tant par la « gauche » que par la droite, y compris Emmanuel Macron, pour justifier des restrictions à l’immigration. Cette phrase est absurde, personne ne demandant à la France d’accueillir la totalité de la misère, mais simplement de traiter dignement les gens qui souhaitent s’y installer : ne pas les maltraiter, ne pas les discriminer, ne pas les expulser. Cette phrase cache le plus souvent un racisme latent et une détestation des immigrés. Il est frappant que sa première partie soit systématiquement ignorée, alors qu’elle dévoile davantage son contenu sordide : « Il faut lutter contre toute immigration nouvelle, à 4,2 millions d’étrangers en France, ce n’est pas possible, nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. », affirma en réalité Michel Rocard. Quelques mois après, Mitterrand déclara lui-même que « le seuil de tolérance du nombre d’immigrés présents en France a été atteint dès les années 1970 ».
Mets-moi quelques blancos
Manuel Valls se situe dans la parfaite continuité avec ce positionnement, et lui-même répétera d’ailleurs la phrase de Rocard pour l’appliquer aux Roms, une population qui attire régulièrement ses foudres. En mars 2013 par exemple, alors ministre de l’Intérieur, il déclare que « les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner » et qu’ils « ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ». Quelques mois plus tard, il enfonce le clou en affirmant que les Roms « ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres » et qu’ »une minorité de familles veut s’intégrer en France« . Plus globalement, au cours de sa carrière, il a accumulé les saillies contre les immigrés et les racisés. Par exemple, en 2009, alors député-maire de la ville d’Evry en Essonne, il avait regretté, se promenant sur une brocante de la ville, le manque de Blancs présents. «Belle image de la ville d’Evry…», soupirait-il, avant de demander à un proche : «Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos.»
« Les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner »
Manuel Valls
Dans la continuité de sa ligne politique, Manuel Valls déclara l’année dernière qu’il aurait soutenu la loi immigration portée par Emmanuel Macron s’il était encore député. Les expulsions, il les a pratiquées sans relâche quand il était au pouvoir. L’affaire Leonarda Dibrani reste l’un des épisodes les plus emblématiques de son passage au ministère de l’Intérieur. En 2013, cette adolescente de quinze ans fut arrêtée par la police à la sortie de son autobus scolaire, avant d’être expulsée avec sa famille vers le Kosovo. Face au tollé médiatique et à l’indignation générale, le gouvernement tenta de désamorcer la crise en proposant une solution absurde : autoriser Leonarda à revenir seule en France, séparée de ses proches. Une proposition en totale contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant, qui mit en lumière la brutalité de Manuel Valls.
Les Musulmans sont l’une de ses cibles favorites : il considère qu’il y a un problème avec l’Islam en France et a notamment défendu l’interdiction du burkini. Il approuve avec enthousiasme les violences d’Israël contre les populations musulmanes. Pour lui, actuellement, « Israël se bat aussi pour nous », « si Israël tombe, nous tombons » et il est tout à fait normal que la guerre que cet État mène à Gaza soit si violente. « Il n’y a pas de riposte proportionnée quand le conflit est d’ordre existentiel », assène-t-il. Toute la violence de Valls est contenue dans cette phrase. Si le conflit est existentiel, ça veut dire que chaque partie est condamnée à s’enfermer dans une logique d’annihilation mutuelle. Le principe de proportionnalité est central dans le droit international humanitaire : il impose des limites aux actions militaires, même quand les objectifs sont légitimes, pour essayer de limiter les souffrances humaines inutiles dans la résolution des conflits. Quand Valls était Premier ministre, il s’est illustré par une politique particulièrement hostile aux manifestations pro-palestiniennes, interdisant notamment plusieurs rassemblements en juillet 2014 lors de l’offensive militaire israélienne à Gaza, sous prétexte de risques de troubles à l’ordre public. Dans le même temps, Valls traçait déjà un parallèle entre antisémitisme et antisionisme, affirmant que « antisionisme » et « antisémitisme » sont « synonymes ». Cette rhétorique vise à délégitimer toute critique d’Israël, en l’assimilant à une attaque contre les Juifs, ce qui va à l’encontre du droit légitime de questionner les politiques d’un État. En 2016, Manuel Valls a réprimé les appels au boycott d’Israël dans le cadre de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). La France est alors devenue, comme l’écrivait Le Monde à l’époque, « l’un des rares pays du monde, et la seule démocratie, où l’appel au boycott par un mouvement associatif ou citoyen pour critiquer la politique d’un État tiers est interdit ».
J’aime l’entreprise !
Manuel Valls aime apparaître ferme, intransigeant et se draper derrière un soi-disant « langage de vérité », sans « tabou », c’est-à-dire parler la langue de la classe dominante. Valls adore les patrons. Par exemple, en août 2014, à l’ouverture de l’université du Medef à Jouy-en-Josas (Yvelines), il s’illustre par son incroyable déférence à leur égard. « Ce sont les entreprises qui, en innovant, en risquant les capitaux de leurs actionnaires, en mobilisant leurs salariés, en répondant aux attentes de leurs clients, créent de la valeur, génèrent de la richesse qui doit profiter à tous. Et moi, j’aime l’entreprise ! ». Cette position se concrétisa par la loi travail de 2016. Il n’y a pas d’amour sans preuve d’amour, et Valls les accumula à l’égard du patronat, aux prix de trois 49.3 pour faire passer cette loi, dont il était à l’origine avec Emmanuel Macron. Celle-ci facilita grandement la mise en œuvre des plans de licenciements et augmenta les dérogations possibles au Code du travail concernant la majoration des heures supplémentaires. Elle ouvrit ainsi la voie aux ordonnances Macron de 2017 qui poursuivirent cette logique et gravèrent dans le marbre des dispositifs sur lesquels Valls avait dû reculer, comme le plafonnement des indemnités de licenciements.
« Ce sont les entreprises qui, en innovant, en risquant les capitaux de leurs actionnaires, en mobilisant leurs salariés, en répondant aux attentes de leurs clients, créent de la valeur, génèrent de la richesse qui doit profiter à tous. Et moi, j’aime l’entreprise ! »
Manuel Valls en août 2014 à l’UNIVERSITé du medef
Le PS d’aujourd’hui tente de se racheter une virginité en faisant comme si Valls n’avait rien avoir avec eux. Le député Arthur Delaporte a qualifié Valls « d’incarnation de la lose et de la trahison ». L’élu Benjamin Lucas a affirmé ironiquement quant à lui que « si avoir sa carte au Parti socialiste il y a 15 ou 20 ans ça fait de vous un homme de gauche, Manuel Valls pourquoi pas alors soyons fou ». Pourtant, Manuel Valls n’a quitté le Parti socialiste qu’en 2017, et il demeure l’incarnation de la dernière expérience du PS au pouvoir au niveau national. Cette période est d’ailleurs encore aujourd’hui mise en avant par certains porte-parole de ce parti, qui vantent cette expérience gouvernementale pour se présenter comme une force « sérieuse » et « pragmatique », en opposition à la France insoumise, qualifiée d’utopiste ou de trop radicale. Il est important de rappeler qu’aux primaires socialistes organisées en vue de l’élection présidentielle de 2017, Manuel Valls termina en deuxième position derrière Benoît Hamon, avec un score significatif de 42 %. Ce résultat, obtenu alors qu’il n’avait quitté ses fonctions de Premier ministre que quelques semaines auparavant, témoigne de la persistance de son influence dans une frange importante du parti, contrairement à ce que ses dirigeants actuels prétendent.
Si le Parti socialiste revenait un jour au pouvoir, il mènerait vraisemblablement des politiques similaires à celles promues par Valls, c’est-à-dire en parfaite continuité avec celles d’Emmanuel Macron. L’adhésion soudaine du PS à la réforme des retraites par points – réforme contre laquelle nous avons tant lutté en 2019 – illustre une fois de plus cet alignement idéologique. Cette posture démontre une fois de plus que l’alliance avec la France insoumise, dans le cadre de la NUPES puis du NFP, était avant tout un calcul électoral opportuniste. Sur le fond, le PS n’a au fond pas évolué depuis sa défaite de 2017, conservant les mêmes orientations idéologiques qui ont conduit à son déclin. Il est grand temps de débrancher sa perfusion.
Guillaume Etiévant
Crédit Photo : Par Olaf Kosinsky — Travail personnel, CC BY-SA 3.0 de
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