Le Zoute : Plongée au cœur de la Belgique bourgeoise

Le Zoute c’est la station balnéaire la plus en vue de Belgique. Un lieu d’abondance ultra-bourgeois dans un pays que l’on peut rapidement associer aux bureaucrates de Bruxelles ou, comme les belges aiment s’en féliciter, au surréalisme.

Surréaliste, il l’est assurément ce petit coin de paradis fiscal ! (notons que Knokke-Heist, la municipalité qui englobe Le Zoute, pratique un taux exceptionnel de 0% de taxation additionnelle à l’impôt belge des personnes physiques, contre 6% à 8% pour la plupart des autres villes du pays).

Sourires jusqu’aux oreilles, doudounes sans manches et pantalons pastel, les résidents sont pour la plupart soigneusement coiffés, bronzés et aiment deviser de banalités

Sourires jusqu’aux oreilles, doudounes sans manches et pantalons pastel, les résidents sont pour la plupart soigneusement coiffés, bronzés et aiment deviser de banalités. S’il n’est pas rare d’y voir une Rolls Royce flambant neuve garée à côté de la boulangerie, il est toutefois d’usage d’y effectuer ses déplacements de proximité en voiturette de golf électrique.

Les signes extérieurs de richesse sont si présents qu’on a peine à croire à leur authenticité. Et pourtant, les matérialistes ne s’y trompent pas, c’est le royaume du capitalisme triomphant, sonnant et trébuchant.

Un entre-soi bourgeois spectaculaire

À première vue, il n’y a pourtant au Zoute pas de réel autre intérêt que la mer du nord, une Skyline d’immeubles sans âme qui longent la digue bétonnée, des cuistax plus ou moins décatis (belgicisme désignant de petits véhicules à pédales de toutes formes destinés aux petits et grands enfants), des gaufres et des glaces en toutes saisons. On y parle et y entend principalement le français malgré le fait que l’on se trouve à la pointe nord de la Belgique néerlandophone, à la frontière des Pays-Bas.

Mais ce qui distingue vraiment cette station balnéaire du Nord, c’est son entre-soi bourgeois spectaculaire.

Ses résidents y gagnent près de 50% de revenus déclarés (c’est important de le préciser) en plus que la moyenne belge. Mais c’est davantage un lieu d’étalement obtus du patrimoine immobilier et financier qu’une ville d’ardent travailleurs. Un appartement (malgré la laideur singulière du littoral, nous l’avons dit) s’y négocie en moyenne 750.000 EUR. Les palaces fraîchement rénovés ou flambant neufs qui composent les quartiers résidentiels de l’arrière-pays s’évaluent à coup de (dizaines de) millions.

Chaque centimètre carré de sable est ici le fruit d’un système bien en place qui ne favorise pas le travail ou le mérite tant prisés par les bourgeois et sous-bourgeois : le capital s’y prélasse et corrompt tout ce qu’il touche, de l’esprit des gosses de riches aux pratiques des mandataires municipaux.

La bourgeoisie ne vient pas à Knokke-Le-Zoute pour y gagner de l’argent mais avant tout pour en dépenser, énormément. On y trouve davantage de galeries d’art contemporain aux couleurs flashy (les bourgeois disent « pop ») et de magasins de sacs à main à cinq chiffres que d’accessoires de plage. La diversité de véhicules hors de prix est bien plus grande que celle de la population (si tu as étudié le droit dans une des nombreuses facultés du pays, tu rencontres à Knokke à coup sûr au moins un ancien camarade d’amphi).

Cette sacralisation de la marchandise, reflet de la sacralisation de ses propriétaires, s’exprime dans le pire de la presse belge lorsqu’elle croit nécessaire d’aborder avec beaucoup de superlatifs et de détails (jusqu’au modèle des véhicules voire même la photo du modèle) les agissements de deux individus qui auraient griffé quelques voitures au Zoute, jusqu’à titrer qu’ils auraient « semé la destruction dans Knokke » ou qu’une fête « vire au drame à Knokke ». Ce traitement s’explique sans doute par l’atteinte au bastion inviolable des nantis, aussi peu dommageable soit elle.

Nos pensées aux familles des voitures

Il s’agit d’y étaler sa réussite insolente (ou le plus souvent celle de ses ancêtres). La place centrale y est ainsi nommée, non sans une pointe d’auto-dérision, « M’as-tu vu ». Ce lieu dispose même de son propre magazine people (Le Zoute people, ça ne s’invente pas) et de sa série NETFLIX (Knokke Off, sorte de Newport Beach à la flamande).

Chaque centimètre carré de sable est ici le fruit d’un système bien en place qui ne favorise pas le travail ou le mérite tant prisés par les bourgeois et sous-bourgeois : le capital s’y prélasse et corrompt tout ce qu’il touche, de l’esprit des gosses de riches aux pratiques des mandataires municipaux.

Une municipalité à l’image de ses habitants : en pleine extrême-droitisation

La municipalité fut dirigée dès sa création par une famille bien connue en Belgique : les Lippens. L’avenue principale porte ainsi sans surprise leur nom. Dynastie ultracapitaliste composée de politiciens, diplomates et affairistes, s’étant notamment illustrée par le gouvernorat-général du Congo belge, la participation active à diverses banques d’affaires et groupes financiers (Fortis et Suez pour ne citer que les plus connus) ainsi que la fondation et la direction de la société immobilière Compagnie Het Zoute. On ne saurait faire plus représentatif de la classe dirigeante.

Doit-on dès lors s’étonner des sorties du maire Léopold Lippens –  décédé en 2023 – contre les personnes qui avaient l’outrecuidance de se balader au Zoute torse-nu et/ou avec des glacières (en Belgique, on dit « frigobox ») ? Ces attributs relevaient selon lui des ploucs qui n’avaient pas leur place le long de sa très chère côte : « Knokke n’est pas un zoo » avait-il alors déclaré. Il est depuis interdit, sous peine d’amende, de se balader en maillot de bain dans le centre-ville…

Ou lorsqu’en 2016,  il affirmait à l’égard des personnes sans papier pouvant débarquer sur les plages du nord qu’il convenait de les placer dans un « camp comme à Guantanamo » et que « les réfugiés font des dégâts monstres aux camions ». Ambiance, …

La légalité ne semblait d’ailleurs pas être une valeur cardinale pour le maire et sa famille. Citons par exemple l’inculpation par le parquet de Bruxelles de Maurice Lippens, son frère cadet, pour manipulation de cours, faux en écriture et escroquerie (il a toutefois échappé aux poursuites grâce à la prescription) ou l’enquête menée en 2020 par le parquet de Bruges pour conflits d’intérêts impliquant les deux frères concernant la transformation par la municipalité de terrains agricoles en zone résidentielle.

Dans la quiétude des villas, on cultive son racisme

Songeons enfin à ses déclarations particulièrement indulgentes à l’égard de Stéphane Moureaux, ancien maire socialiste wallon alors impliqué dans l’un des plus grands scandales de détournement d’argent public du pays : l’affaire Publifin. Léopold Lippens exprimait ainsi tout son soutien à son homologue, pour qui il éprouvait, selon ses propres mots, beaucoup d’admiration.

La gauche et/ou l’écologie y sont pratiquement inexistantes et la bourgeoisie locale a bien compris qu’il était préférable pour la sauvegarde de leurs intérêts de confier les rênes du pouvoir aux fascistoïdes.

Notons d’ailleurs que le successeur immédiat de Léopold Lippens à la mairie démissionna de son mandat en 2023 – soit moins de deux ans après son entrée en fonction – dans le cadre d’une affaire de….conflits d’intérêts.

Conformément à la tendance qui prédomine dans la partie nord de la Belgique, les partis de droite extrême et d’extrême-droite semblent déjà profiter de ces errements et de la disparition de la dynastie au pouvoir pendant 40 ans : les sondages relatifs aux prochaines élections municipales indiquent une montée significative des nationalistes flamands (Nieuw-Vlaamse Alliantie) et des indépendantistes racistes (Vlaams Belang). La gauche et/ou l’écologie y sont pratiquement inexistantes et la bourgeoisie locale a bien compris qu’il était préférable pour la sauvegarde de leurs intérêts de confier les rênes du pouvoir aux fascistoïdes. Si vous doutiez encore de la réalité de la lutte des classes – et de la classe qui la mène et la gagne jusqu’à ce jour – il n’est pas nécessaire de visiter des tours gigantesques au milieu du désert ou de pénétrer dans des principautés baroques peuplées d’exilés fiscaux, il vous suffit d’explorer ce que la Belgique fait de plus concret : les inégalités sociales au sein du plus européen des états, dirigé par des coalitions successives d’obédiences politiques diverses, noyé dans une complexité institutionnelle pathologique et dont les gagnants sont depuis des siècles la bourgeoisie pour laquelle Le Zoute est désormais un lieu de villégiature incontournable.


JBG


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