Vous pensiez détenir la palme des pires politiciens francophones ? Venez donc faire connaissance avec le chef du parti libéral belge : Chasseur de chômeurs, techno-solutionniste, fan de formule 1 et président d’un club de football, candidat raté de télé-réalité flamande, sénateur, député dans tous les hémicycles, en croisade permanente contre les intellos, les « wokes » et tout ce qui s’écarte du libéralisme pur et dur, ennemi des impôts et des allocations, soutien inconditionnel d’Israël, obsédé par les syndicalistes, le socialisme, les femmes voilées et accompagné de différents faire-valoir : un chien-nain ou un politicien d’extrême-droite, ça dépend. Il débite tant d’énormités à la minute qu’il serait impossible d’en dresser un portrait complet. Vous n’en pouvez plus de lire les success-story de vos président.e.s et ministres ? Rassurez-vous, celle-ci est d’intérêt public.

L’amour des projecteurs

Georges-Louis Bouchez est avant tout ultra-présent : tout le monde le connaît en Belgique, c’est un peu l’acarien de la politique. Au départ simple conseiller municipal blotti dans une citée oubliée du sud du pays (Mons, bastion historique du parti socialiste), il a pris une ampleur insoupçonnée et déclenché très rapidement un nombre record d’allergies. 

Son goût immodéré des projecteurs l’a mené jusqu’aux show et émissions de télé-réalité. Le ridicule ne l’effraie pas : il participe tantôt à l’émission Special forces dans laquelle des célébrités flamandes suivent un entrainement militaire, tantôt à The container cup, défi sportif télévisé le confrontant aux performances du président des nationalistes flamands (dont nous parlerons). Bouchez y démontre sa piètre condition sportive et son absence d’esprit d’équipe ou de maîtrise de soi. Il s’expose ainsi à la moindre occasion sur la télévision néerlandophone en s’exprimant dans son plus beau français, sans le moindre effort pour parler la langue de ses compatriotes du nord du pays qu’il semble pourtant vouloir séduire. Il se contente de blâmer le système scolaire et de promettre qu’il y travaille…mais ne le démontre jamais. Cette manie est pourtant une hérésie pour les politiciens belges qui aspirent à un destin d’envergure nationale. 

Georges-Louis Bouchez ose tout, tout le temps.

Qu’à cela ne tienne, Georges-Louis Bouchez ose tout, tout le temps. Son mantra est « Je crois en moi et je crois en Dieu »  (ce sont ses propres mots). Les médias l’adorent car il a toujours un avis tranché à donner, une réponse définitive à fournir et ne doute jamais. Son image déstabilise : revendiquant une « droite supermarché », il expose et explique ses tatouages à la presse, pose pendant plus d’un an sur les réseaux sociaux avec un petit chien (un spitz nain) prénommé Liloo

Avec un style qu’il dit puiser de ses racines modestes (nous y reviendrons), « GLB » est déterminé à marquer les esprits à tout prix. Son ascension à la tête du parti ne s’est pas faite sans remous et chahuts, à tel point qu’il sera – à l’aube de sa présidence – encadré par onze dignitaires de son parti, désignés en interne pour éviter les mauvaises décisions et l’imprévision de leur nouveau champion. Mais il fera rapidement sauter toutes les digues pour soumettre le (très) vieux parti libéral (depuis longtemps rebaptisé « Mouvement réformateur ») à ses frasques et volontés…Jusqu’au succès retentissant et historique aux élections de 2024. Une success-story à l’américaine qui servira à imposer spectaculairement son agenda idéologique. 

Confusionnisme et « écologie bleue »

Si l’omniprésence de Bouchez peut irriter, ses idées ne sont pas moins urticantes. Celles-ci peuvent être résumées ainsi : quel que soit le mal dont vous souffrez, il n’existe qu’une cause, qu’un diagnostic : la Gauche. 

A l’appui de ce constat imparable, GLB pratique à l’envi le confusionnisme et les contrevérités, pourvu que ça résonne et apaise l’insécurité morale de son électorat. 

Si l’omniprésence de Bouchez peut irriter, ses idées ne sont pas moins urticantes. Celles-ci peuvent être résumées ainsi : quel que soit le mal dont vous souffrez, il n’existe qu’une cause, qu’un diagnostic : la Gauche.

Loin d’être un cas isolé, le chef de la droite belge francophone dit lutter avec acharnement contre le « wokisme », qualifié par son parti de « nouveau totalitarisme dont ne peut prononcer le nom » tout en prononçant ce nom à la moindre occasion… confondant au passage – faut-il le rappeler ? – responsabilité de l’homme blanc et sentiment de culpabilité, déconstruction et destruction. 

Afin de lutter contre la pauvreté, GLB allègue que la diminution des allocations sociales est la seule mesure efficace. Pour faire disparaître la mendicité, il propose de la punir pénalement. L’austérité pour les pauvres, par nature incapables de faire des choix éclairés, la générosité pour les entreprises privées, par nature bénéfiques à la société et la théorie du ruissellement sont pour lui et son parti les seuls principes économiques crédibles, en dépit de toute réalité. L’augmentation du pouvoir d’achat devient un non-sujet lorsqu’il déclare à propos de ses concitoyens moins fortunés : « un salaire plus important pour ne pas consommer… il faut arrêter de raconter des bêtises. Ils vont faire quoi alors, de cet argent ? »

Afin de lutter contre la pauvreté, GLB allègue que la diminution des allocations sociales est la seule mesure efficace. Pour faire disparaître la mendicité, il propose de la punir pénalement.

Car il n’existerait à ses yeux d’autre finalité que celle de la croissance et du consumérisme, de l’anthropocène triomphante, pourvu que cela brasse de l’activité économique. Nous connaissons par cœur ce genre de discours : il s’ensuivra l’épanouissement matériel du carriériste, pour qui l’aliénation au travail n’est plus qu’une chimère de gauchiste dès lors qu’elle permet d’acquérir un SUV, une grosse montre, des sneakers moches et une ribambelle de costumes, tantôt bleus, tantôt noirs, reflétant l’abîme de sa pensée politique. 

Quant à la préservation de l’environnement, GLB et ses sbires prônent une « écologie bleue » (non, ce n’est pas une blague), c’est-à-dire le renforcement du libéralisme, seul à même de sauver la planète en ne portant pas atteinte à notre bien-être (C’est littéralement en ces termes que le Centre d’études de son parti s’exprime). Ce modèle repose sur le droit de propriété comme moyen de préserver l’environnement dès lors que « ce sont les biens sans maîtres qu’on pollue le plus et qu’on épuise ». Corentin de Salle, « directeur scientifique » au service de GLB, prône ainsi – à titre d’exemple – la privatisation des bancs de baleines …de manière à contraindre ceux qui les endommageraient à indemniser leurs propriétaires. Une marchandisation totale du monde donc.

GLB et ses sbires prônent une « écologie bleue » (non, ce n’est pas une blague), c’est-à-dire le renforcement du libéralisme

Les conseillers de Bouchez défendent en outre l’aviation de masse, qu’il ne faut en aucun cas freiner ni taxer dès lors que les progrès technologiques en cours permettraient prochainement de faire voler des « avions verts » (ou bleu ? on s’y perd) n’émettant dans un futur fantasmé plus aucun CO² supplémentaire. En Belgique, la vague bleue est toxique et noie le réel dans une mer de pseudo-science.

GLB enfoncera le clou en avançant qu’ « une taxe n’a jamais sauvé la planète », surtout pas sur les Jets privés qui ne servent selon lui pas uniquement à faire voyager les gens riches mais aussi…Les Diables rouges (l’équipe belge de football) !…Argument choc. 

La grande victoire électorale de 2024

Il importe à ce stade de comprendre le contexte politique de son ascension : la Belgique est un état fédéral multilingue gouverné par des coalitions de partis, formées indépendamment (plusieurs gouvernements régionaux dits « fédérés » et un gouvernement fédéral se répartissent les portefeuilles), le tout sur base de scrutins à un tour.

La Belgique est un état fédéral multilingue gouverné par des coalitions de partis, formées indépendamment (plusieurs gouvernements régionaux dits « fédérés » et un gouvernement fédéral se répartissent les portefeuilles), le tout sur base de scrutins à un tour.

Le « super-gouvernement » fédéral rassemble (encore) la plupart des compétences régaliennes, diplomatiques et économiques. Bien qu’il reste attrayant pour les partis, sa formation est complexe et implique de représenter la majorité des suffrages au sud (la Wallonie), au nord (la Flandre) et dans l’ensemble du pays.

Moins de trois mois après les élections de juin 2024 (ce qui peut sembler long pour les Français, mais est un record de rapidité en Belgique), un projet de coalition majoritaire réunissant les deux grandes communautés du pays était sur le point de voir le jour. Cette coalition était menée par le premier parti de Flandre (et de Belgique) : la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), parti nationaliste flamand.

Le « super-gouvernement » fédéral rassemble (encore) la plupart des compétences régaliennes, diplomatiques et économiques. (…) Sa formation est complexe et implique de représenter la majorité des suffrages au sud (la Wallonie), au nord (la Flandre) et dans l’ensemble du pays.

La N-VA assume son agenda libéral-conservateur, mais tente de faire oublier ses racines collaborationnistes. En effet, la N-VA est née de la scission de la Volksunie (Union populaire), parti né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale du mariage de catholiques et de négationnistes. L’autre branche de cette scission est ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Vlaams Belang (Intérêt flamand), équivalent du Rassemblement national français. 

Depuis 2019, Vlaams Belang et N-VA sont de loin les deux premiers partis de Belgique. L’un gouverne (N-VA), l’autre reste jusqu’à présent « infréquentable ». Les deux formations agitent un rêve séparatiste d’une Flandre enfin débarrassée des vilains gauchistes fainéants francophones.

Depuis 2019, Vlaams Belang et N-VA sont de loin les deux premiers partis de Belgique. L’un gouverne (N-VA), l’autre reste jusqu’à présent « infréquentable ».

La population est ainsi habituée, compte-tenu de la complexité du système et de la différence d’offre politique au nord et au sud, à attendre des centaines de jours pour la formation de leurs gouvernements. Pour faire simple : le sud préfère la gauche, le nord préfère la droite. Il s’agit là d’un système ô combien frustrant pour les personnalités politiques belges avides de pouvoir et de suprématisme idéologique qui sont systématiquement contraintes de composer, souvent avec leur ennemi n°1.

Mais en 2024, surprise ! Alors que le pays s’apprêtait à traverser une nouvelle crise institutionnelle, la droite fut première partout et pouvait librement constituer ses coalitions faites de libéraux, de conservateurs, de nationalistes, de chrétiens démocrates et de quelques infimes « sociaux-démocrates » pour faire l’appoint… 50 nuances de droite, toutes puissantes.

Pour faire simple : le sud préfère la gauche, le nord préfère la droite.

Les séparatistes flamands en perdaient leur argument majeur et tout allait aller vite. Un boulevard pour Georges-Louis Bouchez, nouveau roi des wallons, au centre du jeu, pouvant ranger toute forme de progressisme au placard, pour de bon.

Premier apôtre du Capital en Belgique

L’alliance des droites s’apprêtait donc à délivrer sa feuille de route extrêmement austéritaire. Mais GLB, plus thatchérien que Margaret, était prêt à tout faire voler en éclats pour défendre le sacro-saint Capital, à son tour menacé de taxation. Une épine demeurait en effet dans le chausson vernis du roi des wallons : une poignée de centristes rosâtres qu’il avait fallu faire monter à bord pour l’équilibre côté nord… Afin de dénicher les trop nombreux milliards exigés par la Commission européenne, ils ne pourraient cette fois se contenter d’appauvrir les pauvres : Pour la première fois en 60 ans, le gouvernement envisageait d’imposer les plus-values sur actions en Bourse, libres de toute taxation (oui… 0%). 

Mais Georges-Louis prit les armes et monta au créneau : Point de nouvelle taxe en son royaume ! Fonctionnaires, chômeurs, allocataires et mendiants rendront les deniers consentis, tel est le visage de son nouveau pays ! Seule l’audace sera récompensée et promettra de nous en faire profiter par le pouvoir magique de l’argent concentré.

Figure d’une dérive oppressive

Cet épisode s’inscrit dans une dérive caricaturale du Mouvement réformateur, sous la coupe de son président. Songeons aux nombreux signes de rapprochement entre GLB et Théo Francken, ancien secrétaire d’état à l’immigration et représentant du pire de la N-VA (assumant par exemple en 2014 de se rendre aux 90 ans d’un collaborateur nazi), consacrés dans une interview croisée en 2018. Alors que Bouchez n’était encore qu’un cadre de son parti en pleine ascension, il déclarait : «  Sur le fond des dossiers (…) je n’ai jamais entendu de vraie divergence idéologique. (…) La gauche intellectuelle occupe 90 % du terrain médiatique. (…) En fait, tout le débat migratoire est pourri par une faillite intellectuelle de la gauche ».

GLB s’est opposé – avec véhémence et succès – à la nomination d’une commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en raison de son voile.

Le libéralisme sauce Bouchez s’est effectivement rapproché des nationalistes pour mieux s’écarter des libéraux flamands (Open Vlaamse Liberalen en Democraten – « Libéraux et démocrates flamands ouverts », en voie de disparition), principalement dans l’application d’une laïcité axée contre l’Islam. Le parti de GLB s’est ainsi opposé – avec véhémence et succès – à la nomination d’une commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en raison de son voile. Cette nomination était pourtant défendue par le premier ministre en exercice, libéral flamand convaincu. À la suite de cet épisode et à l’instar d’Éric Zemmour, GLB déclarera que le parti écologiste à l’origine de cette désignation est « un agent de l’islamisme radical ».  

Récemment encore, lorsque Viktor Orbán menaçait d’affréter des « bus de migrants » vers Bruxelles, Bouchez déclarait qu’il avait raison d’ouvrir de cette manière « un débat réaliste sur l’immigration » ; Lorsqu’Israël faisait exploser les bippers de membres du Hezbollah dans des lieux publics et sans aucun égard pour les victimes collatérales, Georges-Louis parlait lui d’un « coup de génie ». Ou enfin lorsqu’au détour d’un débat télévisé avec le président du Vlaams Belang (l’extrême droite infréquentable, supra) Tom Van Grieken, GLB le taxait de « socialiste ».

Lorsqu’Israël faisait exploser les bippers de membres du Hezbollah dans des lieux publics et sans aucun égard pour les victimes collatérales, Georges-Louis parlait lui d’un « coup de génie »

Ses innombrables prises de position font évoluer l’impensable vers le populaire et se transforment petit à petit en politiques publiques. 

Vous y voyez un Emmanuel Macron ou un Gérald Darmanin belge, en plus rock’n’roll ? Détrompez-vous, malgré les scandales, le mépris, la violence verbale et politique,  Georges-Louis Bouchez est actuellement triomphant et ne semble pas près de faire profil bas. 

Le parti socialiste vieillissant n’est pas exempt de responsabilité : l’exploitation de ses multiples trahisons et innombrables scandales de corruption demeure une stratégie payante pour GLB.

Le parti socialiste vieillissant n’est pas exempt de responsabilité : l’exploitation de ses multiples trahisons et innombrables scandales de corruption demeure une stratégie payante pour GLB. La Belgique est dès lors empêtrée dans la médiocrité de son personnel politique et semble se raccrocher aux pires histrions pratiquant l’excès comme sport de combat. À l’appui de sa ligne, Bouchez invoque régulièrement ses origines modestes et sa réussite à la sueur de son front (ou pour le citer « le fruit d’un travail et d’un engagement sans limite »).

Le président du parti libéral ne vient certes pas d’un milieu particulièrement aisé mais nous ne voyons pas en quoi cela constitue un argument quelconque : nul n’est à l’abri d’épouser l’idéologie bourgeoise jusqu’à l’absurde en tirant de son parcours personnel une règle impérative. Mais nous touchons là au cœur de ce qui différencie les partisans du libéralisme de ses opposants : l’absence d’effort de compréhension de la société au profit d’une vision singulière d’un monde : le leur.

Citoyens d’un énième état de droit engagé sur la pente aigüe du confusionnisme anti-social, les belges ne peuvent attendre de leurs représentants une résistance suffisante et efficace et sont à l’aube d’un sursaut. 


JBG

Photo de couverture : Par Maximgilot — Travail personnel, CC0


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