François Bayrou, bouclier des prédateurs sexuels

Les révélations récentes sur les abus sexuels et les violences perpétrés au sein de l’établissement catholique Notre-Dame de Bétharram, près de Lourdes, ont mis en lumière la complicité silencieuse de François Bayrou, élu de la circonscription depuis des décennies. Alors que le parquet de Pau enquête sur des centaines de plaintes pour violences, agressions sexuelles et viols commis entre les années 1970 et 2010, le Premier ministre affirme n’avoir jamais été informé de ces atrocités, alors que les témoignages accablants se sont multipliés autour de lui. Ce n’est malheureusement pas un comportement isolé. La bourgeoisie constitue une classe sociale qui, tout comme les milieux moins favorisés, abrite des agresseurs sexuels et des auteurs de violences envers les enfants. Mais sa spécificité est qu’elle dispose de puissantes ressources, ainsi que d’une assise morale, culturelle et politique lui permettant protéger ces criminels.

« J’affirme que je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles. Jamais », a déclaré François Bayrou à l’Assemblée nationale en début de semaine. Ce type n’est plus à un mensonge près, mais celui-ci est sans doute le plus tragique, car un élu local et ministre de l’Éducation nationale détient le pouvoir d’agir pour stopper de tels drames. Mais les élites préfèrent souvent détourner le regard, comme Bayrou. L’histoire regorge de complicités silencieuses : la mère de Vanessa Springora a fermé les yeux sur les abus de l’écrivain pédophile Matzneff, tandis que Bernard Kouchner est resté muet face aux sévices subis par son fils, violé par Olivier Duhamel dans la maison familiale. Il défend désormais l’abbé Pierre accusé d’innombrables violences sexuelles. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire à Frustration, si les violeurs sévissent dans tous les milieux, la bourgeoisie abrite nombre d’hommes dont le prestige, l’arrogance et le pouvoir leur garantissent une impunité insupportable.

Les choses évoluent lentement grâce à des témoignages de personnes ayant un statut social leur permettant d’être écoutées et respectées. Elles parlent aussi pour tous ceux à qui l’accès à la parole publique est implicitement refusé, car ils n’évoluent pas dans le bon milieu social.

Les pouvoirs publics et la sphère médiatique se sont désintéressés des viols d’enfants pendant des décennies. Pire, une complaisance coupable y régnait. Par exemple, Le 26 janvier 1977, le Monde, suivi de Libération le lendemain, publiait une tribune signée par 69 personnalités pour soutenir trois pédocriminels incarcérés, Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckhardt. La tribune était signée par Kouchner et Matzneff, ainsi que par Jack Lang, qui s’est fait d’ailleurs agressé le 8 février dernier par des manifestants contre la pédocriminalité alors qu’il se rendait à l’opéra Garnier. La médiatisation des affaires de pédocriminalité a connu une intensification notable au début des années 1990, notamment avec l’affaire Dutroux, coupable de multiples viols et meurtres d’adolescentes en Belgique. Ce scandale a bouleversé l’opinion publique, mais les médias ont principalement façonné le récit autour de Marc Dutroux, dépeint comme un prédateur isolé, occultant ainsi les possibles ramifications politiques et institutionnelles de l’affaire.

Seul le statut social donne voix aux victimes

Pendant des années, la question de la pédophilie s’est limitée médiatiquement à quelques faits divers et à la figure des tueurs en série comme Dutroux, Fourniret, etc. Des personnages monstrueux, qui permettaient d’invisibiliser la grande masse des viols commis quotidiennement en France. Les choses évoluent lentement grâce à des témoignages de personnes ayant un statut social leur permettant d’être écoutées et respectées, comme Vanessa Springora, éditrice, Camille Kouchner, avocate, ou Adèle Haenel, actrice, qui a récemment réussi à faire condamner son agresseur. Elles contribuent, par leur courage, à dévoiler le fait que les viols sur les enfants vont bien au-delà des figures types des violeurs et tueurs en série marginaux et isolés. Elles parlent aussi pour tous ceux à qui l’accès à la parole publique est implicitement refusé, car ils n’évoluent pas dans le bon milieu social.

Dans le même temps, les protections politiques se poursuivent. Le magistrat Édouard Durand, dont le travail avait très largement été salué par les associations de victimes et de protection de l’enfance, a été évincé fin 2023 par l’exécutif de ses fonctions de coprésident de la CIIVISE – Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Pendant deux ans et demi, grâce à 30 000 témoignages, la commission avait mis en lumière les ravages des violences sexuelles subies par environ 165 000 enfants en France chaque année. Son rapport contenait 82 recommandations pour mieux prévenir les violences sexuelles et mieux protéger les enfants. Il a été vite enterré par le pouvoir politique.

Une vieille tradition : faire souffrir les enfants pour les endurcir

Le scandale de l’établissement confessionnel Notre-Dame de Bétharram, visé par 112 plaintes pour violences pédocriminelles, revient au premier plan médiatique ces derniers jours grâce en particulier au travail d’investigation de Mediapart et à l’action du député Paul Vannier. Ce dernier a interpellé le Premier ministre à l’Assemblée nationale, l’exhortant à répondre de ses responsabilités et de ses mensonges. Gérald Darmanin, lui-même visé par des accusations de viol, s’est empressé de voler au secours de François Bayrou. Les dénégations de Bayrou, prétendant ignorer les violences commises dans l’établissement, apparaissent si grossières que la plupart des médias les déconstruisent méthodiquement.

Bayrou et sa femme savaient ce qui se passait dans l’établissement et ça ne les a malgré tout pas dérangés du tout d’y mettre leurs propres enfants. Ils ont perpétué ainsi cette vieille tradition de faire souffrir les enfants en s’imaginant que ça va les endurcir.

Même l’émission Quotidien a diffusé de multiples archives prouvant que les faits de violence dans cette école étaient médiatisés lorsque Bayrou était ministre de l’éducation, période durant laquelle ses enfants fréquentaient l’école. Françoise Gullung, professeure de mathématiques à Bétharram de 1994 à 1996, affirme quant à elle avoir directement informé François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, des violences régnant dans l’école, mais celui-ci aurait évacué mollement ses avertissements. Selon France Info, l’enseignante indique par ailleurs que l’épouse de François Bayrou, qui enseignait alors le catéchisme dans l’école, a assisté à la scène et affirmé : « Oh, ils [les élèves] sont insupportables, on ne peut rien en faire. » De plus, un ancien magistrat a confirmé avoir discuté avec M. Bayrou en 1998 des accusations de viol visant un directeur de l’institution. Ce dernier a fini par se suicider et la femme de Bayrou aurait assisté à ses funérailles. Au cœur de la polémique se trouve également une plainte déposée en avril 1996 contre un surveillant, accusé d’avoir donné une claque si violente qu’elle a perforé définitivement le tympan d’un adolescent, qui était dans la même classe que le fils de François Bayrou, qui n’a pas réagi à l’époque, alors qu’une plainte a été déposée par les parents.

« Est-ce que vous croyez que nous aurions scolarisé nos enfants dans des établissements dont il aurait été soupçonné ou affirmé qu’il se passe des choses de cet ordre ? », a lancé Bayrou à l’Assemblée nationale. Un raisonnement typique des élites, feignant d’ignorer que la majorité des agressions sexuelles surviennent dans le cercle familial. En vérité, Bayrou et sa femme savaient ce qui se passait dans l’établissement et ça ne les a malgré tout pas dérangés du tout d’y mettre leurs propres enfants. Ils ont perpétué ainsi cette vieille tradition de faire souffrir les enfants en s’imaginant que ça va les endurcir. Cette affaire est symptomatique non pas uniquement de la pédocriminalité qui règne dans la sphère religieuse, mais plus généralement de l’indifférence face à la douleur des enfants. Ils sont les êtres humains les plus dominés. Leur parole continue, malgré certains progrès, à être le plus souvent niée et dévalorisée. C’est en changeant notre regard sur l’enfance que nous changerons collectivement notre regard sur le monde lui-même, et que nous pourrons alors enfin le transformer.